Le tourisme se confronte à l’innovation
Fréquentation en forte hausse pour cette deuxième édition du colloque « Tourisme & Numérique ». Parce que la filière tourisme est bousculée par les usages liés au numérique… Parce que le numérique ouvre des possibilités de services originaux à proposer. De nouveaux horizons à explorer pour les professionnels du tourisme comme pour les startups.
« Tourisme & Numérique » se tenait à Pleumeur-Bodou, près de Lannion, à deux pas de l’antenne qui symbolise l’ère des télécommunications et avec la très attractive côte de granit rose pour toile de fond. Cette deuxième édition du 3 novembre 2016 réunissait plus de 150 participants. Elle était organisée par Technopole Anticipa avec de nombreux soutiens dont Images & Réseaux. Au programme une série de conférences, entrecoupée de rencontres avec une quinzaine de startups exposantes qui avaient aussi l’occasion d’un pitch en deux minutes à mi-journée.
Le problème des territoires : comment sortir du lot ?
Pour commencer Pascale Vinot de Tourisme et territoires, association qui fédère les structures départementales du tourisme, faisait un état des lieux des tendances et usages. De plus en plus, le voyageur « se débrouille tout seul ». Il prépare son séjour en ligne et se fie davantage aux avis des autres voyageurs qu’aux conseils « venus des institutionnels ». Mais il est de plus en plus difficile pour lui de faire le tri tant les acteurs se multiplient, de même que les informations disponibles en ligne.
Si bien que pour promouvoir une destination, « il est de plus en plus difficile de sortir du lot ». Y compris par le numérique. En particulier, les applications mobiles de territoire sont source de « beaucoup de gâchis ». Surtout quand elles sont développées sans véritable stratégie ni moyens de promotion, donc noyées dans la masse car « trop d’applications tuent l’application ». À ranger également du côté des déceptions, les QR codes dont le « retour sur investissement est très faible ». Autre mise en garde, l’abus de belles images 360 et des visites immersives, car on risque de décevoir tant « le visiteur aura tout visité virtuellement ».
Une règle selon Pascale Vinot, éviter le suivisme : « Pour innover, il faut faire avant les autres. » Le dispositif numérique, quel qu’il soit, doit apporter un plus à « l’expérience touristique ». Comme par exemple cette application, disponible dans le Tarn, capable de proposer une activité dans l’heure à venir selon le moment de la journée, le lieu où l’on se trouve, la météo… Autre piste intéressante à creuser, les bots (agents conversationnels automatiques) qui ont cet avantage d’être accessibles jour et nuit. Ils peuvent être utilisés pour délivrer l’information basique 24 heures sur 24, ce qui permet de « dégager du temps à l’humain pour les activités à forte valeur ajoutée », comme le conseil personnalisé.
Le numérique pour raconter une histoire
Plus tard, Vincent Roirand confirmera sur bien des points. Il dirige l’agence Mazedia, spécialiste de « l’expérience interactive multimédia » et de la « scénographie en lieu ouvert ». Pour lui, la première question à se poser avant de développer un dispositif numérique à vocation patrimoniale ou culturelle est simple : « qu’est-ce que ça va apporter aux gens ». L’effet de surprise est passé, « les gens savent jouer avec une application…, que ça existe sur les stores ne suffit plus ». Il faut désormais « une promesse claire ». L’outil que l’on développe doit être « un produit culturel à part entière ».
L’essentiel n’est pas la technologie utilisée mais l’histoire que l’on raconte. Qui peut être servie par « une foultitude d’outils complémentaires » : réalité virtuelle, réalité augmentée, dispositif audio, vidéo…, dans une logique de projet qui associe différents métiers. Vincent Roirand estime par ailleurs que les acteurs français devraient profiter de leurs nombreux atouts pour se développer : « La France est très connue pour son savoir-faire en médiation culturelle. Il existe des opportunités de business à l’étranger. »
Le Test & Learn pour se transformer
Entretemps Catherine Péchinot, avait témoigné du virage numérique de Gîtes de France. Elle qualifie d’abord la structure qu’elle dirige de « dinosaure du tourisme » pour mieux mettre en valeur le chemin parcouru. Gites de France est une vieille institution, 60 ans d’âge, « inventeur du guide papier » et pionnier du minitel, qui avait « raté le virage Internet ». Aujourd’hui, c’est un site marchand performant qui reçoit 1,6 million de visiteurs uniques par mois.
Pas de « recette miracle » pour y parvenir, mais une méthode : le Test and Learn. Elle consiste à procéder par petites touches, en commençant par « ce qui est facile et peut rapporter beaucoup ». Puis améliorer progressivement et constamment l’offre en ligne. Des évolutions dont on peut mesurer les effets grâce aux statistiques tout en se donnant « le droit à l’erreur ». Résultats pour Gîtes de France : +94% de visiteurs uniques en 4 ans « à budget constant », une notoriété élevée – 3e marque de tourisme la plus connue en France – et une croissance du volume d’affaires supérieure à 7% en 2015.
Big data et analytics pour faciliter la décision
Comment connaître les visiteurs, leur provenance, leur durée de séjour, leurs habitudes, leurs déplacements ? Jean-Luc Chazarain d’Orange Business, présentait une solution appelée Flux Vision. Son principe ? Les téléphones mobiles laissent des traces de géolocalisation, jusqu’à « 4 milliards d’informations par minute dans le réseau orange ». Traces qui, rendues anonymes et traitées par des algorithmes big data, permettent de construire des indicateurs de fréquentation et de déplacement « à grande échelle » sur un territoire ou lors d’un événement.
Le service permet aussi d’observer l’évolution dans le temps, comme illustré par Vincent Corre, de Côtes d’Armor Développement, avec des graphiques très parlant à l’appui. L’agence est abonnée au service Flux Vision pour « étudier finement les clientèles et leurs comportements » dans les différents territoires du département. Et pour se constituer au fil du temps un « appui décisionnel » dans l’élaboration des politiques touristiques et des actions de promotion.
Vers un réseau d’incubateurs dédiés au tourisme ?
La conclusion de la journée revenait à Laurent Queige, de Welcome City Lab, une plateforme d’innovation dédiée au tourisme urbain et premier incubateur d’innovation touristique. Pourquoi cette plateforme ? D’abord parce qu’il fallait « bousculer la destination Paris ». Ensuite parce qu’il est difficile pour les entreprises innovantes qui ont une culture technologique et marché de « pénétrer l’écosystème tourisme ». L’innovation est à prendre au sens large, qu’elle s’appuie sur le numérique ou non.
Suivait une liste de tendances et d’innovations extraites des activités de l’incubateur. Deux exemples : les algorithmes de la plateforme Fotonower repèrent dans les réseaux sociaux les photographies les plus pertinentes qui pourraient être utilisées pour promouvoir un site, un événement, un hébergement, une activité ; At the corner est une autre plateforme qui associe hébergements collaboratifs et services hôteliers comme le dépôt de bagages ou le retrait des clés qui pourront se faire à l’hôtel du coin (le corner).
Laurent Queige terminait son intervention par un appel à constituer un réseau d’incubateurs équivalents à travers l’hexagone. Le ministre du tourisme devrait faire une annonce dans ce sens le 6 décembre. L’ambition : « Faire de la France le premier pays au monde à se doter d’un réseau national d’incubateurs touristiques. » Avec cette mission : « Inventons le tourisme du futur ».
lemag-numerique.com du 9/11/16