U

Venise ou la fin du tourisme ? l’édito d’Eric Meyer

Accueil / Actualités / Venise ou la fin du tourisme ? l’édito d’Eric Meyer

Venise ou la fin du tourisme ? l’édito d’Eric Meyer

04/08/20

Il en va du tourisme comme de nombreux élixirs. Le poison, c’est la dose. Faudra-t-il désormais que les destinations qui se sont laissé entraîner dans le piège de la monoculture du tourisme imposent des fermetures partielles ? Des quotas ? Des prix d’entrée ? Rédacteur en chef de GEO, Eric Meyer s’interroge.

Les gondoles à quai, couvertes d’une bâche bleue, toute propre. L’eau des canaux soudain transparente. Et des poissons, visibles sur certaines photos. Les images de Venise pendant le confinement ont fait le tour du monde et des réseaux sociaux, imprimant dans nos mémoires un symbole de destination touristique passant soudain de l’enfer de la surfréquentation au paradis d’une nature reprenant ses droits… Depuis, l’image idyllique, un instant entrevue, des lieux libérés des foules et de la pollution s’est brouillée. Et la perspective de ce que pouvait être un monde sans tourisme, nuancée.

A Venise comme à Amsterdam, à Dubrovnik, en Egypte près des pyramides, aux Seychelles ou à Komodo, le plaisir, pour les habitants, d’avoir pu savourer ces lieux pendant quelques semaines sans les cohortes de bus, les mégapaquebots ou les kilos de papiers gras qui s’ensuivent a, hélas ! été terni par la perte de recettes et d’emplois. A Venise, 65 % de la population travaille dans le tourisme, indique notre reporter qui s’est rendu récemment dans les recoins délicieux et déserts de la cité des doges, mais a aussi pu prendre la mesure des angoisses de la ville devant le vide.

Dans de nombreux pays, l’alarme est la même. Une part importante du PIB de l’Espagne (14 %), de l’Italie (13 %), des Seychelles (26 %) dépend des voyageurs. Et les dégâts s’étendent au-delà de l’économie. Quand les touristes s’absentent, les réserves animalières voient leurs ressources pour la protection et la conservation se tarir, les braconniers revenir et la pauvreté resurgir, avec ses corollaires fatals : la violence, les conflits, les guerres. Voilà qui rappelle que, pendant longtemps, avant que les touristes ne franchissent les frontières en masse, c’était les soldats qui le faisaient…

Il en va du tourisme comme de nombreux élixirs. Le poison, c’est la dose. Faudra-t-il désormais que les destinations qui se sont laissé entraîner dans le piège de la monoculture du tourisme imposent des fermetures partielles ? Des quotas ? Des prix d’entrée ? Pour s’y rendre, le voyageur devra-t-il, comme lorsqu’il réserve une place dans le train, l’avion ou au théâtre, payer plus cher lors des jours d’affluence ? Les entreprises de tourisme qui ont longtemps utilisé des lieux naturels ou publics sans contribuer à leur entretien devront certainement payer davantage. Et le consommateur aussi, qui verra le voyage devenir plus rare et plus cher.

Cela étant, aucune mesure ne pourra être durable si elle ne prend pas en compte ce que la crise du coronavirus nous a révélé : nos sociétés démocratiques reposent sur trois piliers : la liberté (de circulation), la sécurité (sanitaire) et la prospérité (économique). Toute idée qui amènerait à sacrifier l’un de ces piliers au profit d’un autre ferait s’écrouler l’édifice.

Geo du 4/08/20

 

Share This