« Angèle Bastiani reste ferme sur sa stratégie »
31/05/23
A lire sur Corse Matin du 28/05/23
Après les vives critiques formulées par des professionnels du secteur à l’encontre de la stratégie de l’agence du tourisme de la Corse, sa présidente Angèle Bastiani réaffirme à Corse-Matin sa vision d’un modèle « déconcentré » et « durable » pour une meilleure gestion des flux et confirme la fin de la promotion de la destination Corse en été.
Vos annonces il y a deux semaines sur la fin de la promotion de la Corse en été ont provoqué une levée de boucliers de plusieurs professionnels du tourisme en tête desquels le collectif des acteurs de l’hébergement touristique professionnel (Umih et Fédération de l’hôtellerie de plein air) et le Groupement des hôtelleries et restaurations (GHR) Corsica. En avez-vous été surprise ?
Il n’y a rien de nouveau dans ces annonces. On parle depuis 2021 de cette stratégie qui consiste en une déconcentration, pour une fréquentation touristique tout au long de l’année, soutenue par une nouvelle promotion destinée à diversifier la clientèle. Elle a été débattue en commission au sein de l’agence du tourisme de la Corse (ATC) à laquelle participent les représentants des syndicats et associations de professionnels du tourisme. Ces derniers sont d’ailleurs membres du conseil d’administration de l’ATC. Il y a peut-être eu une incompréhension chez certains, de la mauvaise foi chez d’autres.
Les détracteurs de votre politique estiment que ces annonces sont destinées à flatter l’électorat de la majorité territoriale. Que leur répondez-vous ?
Je ne réponds rien à personne mais les élus que nous sommes ne sont ni la voix d’une corporation, ni celle des pourfendeurs du tourisme. C’est un phénomène qui touche tous les Corses et notre rôle d’élus est de trouver un équilibre afin qu’il puisse continuer à être un pilier de notre économie tout en étant accepté par le plus grand nombre.
Pourquoi avoir décidé d’arrêter la promotion de la Corse et de ses sites emblématiques en juillet-août ?
La promotion estivale de la Corse et de ses grands sites se fait naturellement par les tour-opérateurs, les blogueurs, les journalistes spécialisés, les transporteurs, les réseaux sociaux… Nous estimons donc que nous avons intérêt à orienter autrement l’argent public fléché pour la promotion de l’île. L’objectif, encore une fois, est de mieux gérer le flux touristique sur notre territoire.
Vous délaissez la clientèle française ?
Nous n’avons jamais dit que nous ne voulions plus de touristes français ! Cette clientèle représente 74 % des touristes qui fréquentent la Corse. Elle est déjà séduite par notre territoire qu’elle connaît bien. Nous avons estimé qu’il valait mieux répartir autrement l’argent public pour la promotion de l’île, en attirant une autre clientèle venant d’autres pays (lire ci-dessous).
À combien s’élève le budget de l’ATC pour la promotion de l’île et quelle part est allouée à la publicité en direction du Continent ?
Le budget a été porté cette année à 5 millions d’euros, notamment grâce au plan France Relance. Jusqu’à l’année dernière, il s’élevait à 3 millions d’euros. Il est difficile de déterminer précisément la part jusqu’ici dévolue à la promotion de la clientèle française car les sommes sont allouées en fonction des marchés, des demandes des télévisions, etc., mais il s’agit du poste le plus important.
Le collectif des acteurs de l’hébergement touristique professionnel affirme que la haute saison n’est plus ce qu’elle était, avec un mois de juillet désormais assez faible et une activité vraiment soutenue qu’entre les 5 et 17 août. Partagez-vous leur analyse ?
Nous ne pouvons pas baser une politique générale et la vision d’un nouveau modèle de tourisme durable sur le taux de remplissage de tel ou tel établissement à l’instant T. Nous ne parlons plus de chiffres de saison, notre objectif c’est un lissage de la fréquentation douze mois sur douze.
Ces mêmes professionnels, ainsi que le GHR mené par César Filippi, avancent l’expansion du nombre de meublés touristiques non professionnels, (600 000 contre 180 000 professionnels) représentant une concurrence déloyale et augmentant le nombre de visiteurs en été. Que comptez-vous faire pour lutter contre ce phénomène ?
L’ATC n’a pas la compétence directe pour réguler cette offre non professionnelle mais nous travaillons sur ce phénomène qui est complexe. Il y a deux choses à distinguer : les Corses qui, pour arrondir leurs fins de mois, louent leurs biens quelques semaines par an de manière légale et ceux qui, sans aucun lien avec la Corse, sont dans une logique spéculative. Nous étudions donc plusieurs pistes en collaboration avec les professionnels du tourisme. Plusieurs moyens existent, notamment le régime du changement d’usage de ces meublés. Ce levier est très encadré, principalement réservé aux communes ou aires urbaines de plus de 50 000 habitants. Nous souhaitons territorialiser cette compétence (la donner à la CdC) en considérant la Corse comme une seule zone tendue de 350 000 habitants. Nous avons pour ce faire, besoin d’une adaptation législative. C’est un sujet qui interviendra dans le cadre des discussions avec Paris.
Ne plus faire la promotion des sites emblématiques, est-ce suffisant pour réguler leur fréquentation ? Des quotas à ces endroits seront-ils mis en place ou les intérêts économiques sont-ils trop importants pour ce faire ?
Ces sites sont naturellement promus par les opérateurs privés. Pourquoi continuer à les mettre en avant plutôt que de faire la promotion d’autres sites moins connus, comme le Parc naturel avec les sentiers de Mare à Mare et Mare è Monti qui font découvrir nos villages, ou encore des plages moins visitées ? Les places limitées de parking sur ces sites réduisent de fait leur fréquentation. Quant aux quotas, le président de l’exécutif s’est exprimé là-dessus, un travail est engagé pour tendre vers des quotas à certains endroits et trouver un équilibre entre le respect de l’environnement et de la biodiversité tout en prenant en compte l’aspect économique ainsi que l’usage de ces lieux par les résidents corses.
On dénombre environ 3 millions de touristes par an en Corse (nombre d’entrées et de sorties). Quelle est votre vision de la fréquentation maximale de l’île ?
Notre politique de déconcentration tout au long de l’année nous donnera cette vision.
La société insulaire est divisée sur la question du tourisme entre ceux, très nombreux, qui en vivent et les autres, qui veulent revoir la fréquentation nettement à la baisse. On sent une difficulté des élus à trouver une politique qui puisse satisfaire ces deux camps…
En lissant toute l’année la fréquentation touristique avec des infrastructures adaptées, nous pensons pouvoir trouver un équilibre entre l’aspect économique et l’acceptabilité du tourisme. Mais je ne doute pas que notre politique portera ses fruits rapidement, pour équilibrer les choses et apaiser les esprits.