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En route vers un tourisme plus éclairé

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En route vers un tourisme plus éclairé

25/07/20

Conscientisation de l’industrie, réintroduction de la lenteur dans le voyage, réévaluation de la notion d’exotisme… le sociologue et ethnologue français Jean-Didier Urbain, qui s’intéresse au tourisme depuis plus de 30 ans, partage avec nous des idées qu’on aimerait voir se concrétiser.

Selon vous, notre motivation de voyageur reflétera-t-elle un avant et un après COVID-19 ?

Cette pandémie est un catalyseur qui va accélérer des comportements déjà établis, soit en les intensifiant, soit en poursuivant leur affaiblissement. Ce qui s’affaiblit depuis des décennies déjà, c’est le sens de l’aventure avec un voyageur toujours plus connecté et prévoyant. Ce qui va s’intensifier, corrélativement, c’est le désir de sécurité, l’exigence d’anticipation, voire la méfiance et la peur du risque, des attitudes toutes opposées à l’aventure. Pour le reste, on continuera à voyager pour découvrir la diversité des cultures, des sociétés et des hommes, mais aussi pour oublier les hommes, la société et l’altérité, en recherchant alors des espaces vides, tels les déserts, ou des huis clos propices à la solitude : îles, cabanes au fond des bois, etc.

Ainsi, l’après-COVID-19 verra sans doute des conduites reflétant, à court et à moyen termes, une intensification des pratiques de sécurité et d’hygiène. Mais il y a déjà belle lurette que l’on voyage dans cet esprit. La COVID-19 n’est à cet égard qu’un risque de plus, qui s’ajoute au paludisme ou au VIH, déjà présents sur nos routes…

En septembre dernier, à l’occasion du débat « Voyager en avion ou pas » organisé par Le Devoir, vous avez évoqué la nécessité de réintroduire l’idée de la lenteur dans le tourisme. Pourquoi est-elle désirable ?

La lenteur est un moyen de se soustraire à une culture de l’urgence rongée par la peur de la « perte de temps », qui impose des rythmes de mobilité structurés par des technologies qui définissent notre quotidien, notre réalité et nos voyages. La lenteur est une autre dimension, et donc déjà un moyen d’accéder à un autre monde. Elle crée la distance, l’éloignement, le dépaysement, donc l’exotisme. C’est une erreur de penser qu’il suffit d’aller loin pour trouver cet exotisme. Il est dans la façon de voir, pas dans la chose, car on peut retrouver très loin la même chose que chez soi. Et c’est la déception que procure une banalité offerte par une vitesse aveugle, sans temps ni perdu, ni gagné, ni même pris.

Si vous étiez ministre mondial du Tourisme, quelles politiques jugeriez-vous bon de mettre en place dès maintenant ?

L’article 1 de ma « Constitution » serait : tous les hommes ont le droit non seulement de voyager, mais aussi celui de s’enrichir par le voyage en prenant conscience de l’espace et de la diversité des cultures. C’est de l’ignorance mutuelle des peuples que naissent les conflits, les concurrences infantiles et les logiques de domination. C’est pourquoi le tourisme est bien plus qu’un loisir : il est un régulateur social planétaire.

Dans la pratique, cette politique commencerait par limiter la libre circulation des marchandises quand elle s’avère inutile ou polluante, et encouragerait des relocalisations et des développements locaux, qui n’excluraient pas pour autant des échanges internationaux raisonnés, raisonnables et non concurrentiels. Il ne s’agit pas de se replier, mais de se compléter. Dans le même esprit, les transports (terrestres, aériens, maritimes) seraient appelés à se compléter et non plus à se concurrencer, comme c’est le cas aujourd’hui dans le cadre d’une dispendieuse et polluante rivalité commerciale.

Le tourisme de masse serait à réformer en conscientisant les politiques locales et les industries du voyage, qui sont les vrais responsables des méfaits du tourisme, et non pas les touristes eux-mêmes. Comment faire ? En instaurant une déontologie du marché du voyage, qui manque cruellement face à un idéal de profit sans pondération, générant des flux et des concentrations dévastatrices issus de valorisations attractives irresponsables. Rêvons un peu…

Qu’a appris l’« idiot du voyage », pour reprendre le titre d’un de vos ouvrages, ce prétendu mauvais voyageur ?

Oh ! il a beaucoup appris, et vite de surcroît. Il faut prendre du recul. Idiot au départ, c’est-à-dire naïf, capable de s’émerveiller et d’être curieux de tout. C’est sa qualité principale, que beaucoup ont perdue. Puis il est devenu grégaire et ridicule avec les voyages groupés. Le touriste aujourd’hui s’émancipe cependant de ce carcan d’irrespects commerciaux. Il s’autonomise. Il prend ses distances avec les marchands. Cela est un signe majeur d’évolution… Grâce à Internet, le touriste ne se laisse plus manipuler comme autrefois : il compare, élabore, s’informe, témoigne. Il se tourne à présent vers des tourismes non seulement écologiques, mais responsables, solidaires, éthiques, humanitaires, participatifs ou en immersion, près des réalités du monde.

Oui, le touriste a beaucoup changé, même s’il y a des cancres dans sa classe, là comme ailleurs. Et plutôt que de désespérer de l’humain, gageons que le voyage touristique a aussi cette utilité : il est un espace-temps de rééducation des enfants mal élevés !

Docteur en anthropologie sociale et culturelle, professeur à l’Université Paris-Descartes, Jean-Didier Urbain est l’auteur de nombreux ouvrages, de L’idiot du voyage (Petite Bibliothèque Payot, 1991) à L’envie du monde (Bréal, 2018). Il prépare un essai en lien avec le voyage et le confinement, à paraître en 2021.

ledevoir.com du 25/07/20

 

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