Et si le Coronavirus avait réglé d’un coup tous les « problèmes » du tourisme ?
Le décryptage de Josette Sicsic (Touriscopie)
L’heure n’est ni à la plaisanterie, ni à l’optimisme, ni au cynisme. Il n’empêche que je ne peux éviter de constater que le tourisme qui, depuis quelques années, faisait l’objet d’une stigmatisation incessante, connaît aujourd’hui un état de grâce. De bourreau, à cause de ses excès et nuisances, il est devenu l’une des victimes préférées des médias. Depuis que cet horrible Covid a poussé à la fermeture et à la faillite annoncée d’aéroports, compagnies aériennes, hôtels, parcs à thèmes, restaurants, bars et autres plages, forêts et festivals… le sujet est à la fois photogénique, inédit et teinté de cette dose de tragique indispensable aux grands spectacles du monde. Mais, pourquoi ne pas voir aussi les choses d’un autre œil ?
Alors que le 10 mars (2020, pas 2019), l’on me demandait encore de m’exprimer sur les méfaits du « sur-tourisme », quelques jours après, de nouvelles salves d’articles d’une tout autre tonalité se multipliaient dans la presse.
Les rues et les places des capitales touristiques vides, les littoraux bouclés, les vagues abandonnées aux goélands et aux mouettes, les pistes de ski désertées, les chefs-d’œuvre des musées oubliés sur leurs cimaises… constituaient des images inédites, voire insolites, repoussant fermement le spectre du tourisme de masse.
Face à cette désolation assortie de commentaires économiques amplifiant la catastrophe, un autre type d’articles s’est déployé. Il concernait les vacances.
Car, à l’approche de l’été, notre grande préoccupation de populations privilégiées, réside bel et bien dans nos prochaines vacances !
« Sacrées vacances, une obsession française »
N’oublions pas que les turbulences de Mai 68 se sont arrêtées du jour au lendemain parce qu’il fallait bien partir en vacances. « Sous les pavés, la plage » !
Une attitude qui ne manque pas de faire sourire nos voisins européens et surtout nord-américains, médusés par notre aptitude à planifier en quasi permanence nos prochains voyages et à en parler incessamment : avant et après.
Souvenons-nous de cet ouvrage intitulé « Sacrées vacances », commis par un journaliste américain du nom de Ted Stranger qui, suffisamment connaisseur de nos mœurs, tentait de comprendre cet hédonisme franchouillard, particulièrement exceptionnel, qui nous pousse à idéaliser l’oisiveté et le farniente et à confondre bonheur avec escapades.
Donc, par le truchement des vacances, le tourisme a repris du galon dans les médias et reconquis une grande partie de son aura.
Partir en vacances ? Mais oui bien sûr, Covid ou pas Covid !
Ce tourisme idéal en train de naître sous nos yeux
Bien que la situation soit totalement incertaine et que beaucoup de problèmes soient bien loin d’être réglés (malgré les annonces gouvernementales), la perspective de boucler nos valises semble d’autant plus séduisante qu’il faut bien le reconnaître, la pandémie a eu pour conséquence secondaire de redessiner les contours de la planète et en particulier de la planète tourisme.
On ne savait plus comment régler les problèmes de « sur-tourisme », c’est fait, les voici réglés. Nous vivrons une époque bien heureuse de « sous-tourisme » car les gouvernements ne sont pas prêts à rouvrir les frontières et à laisser déambuler des millions de curieux dans leurs territoires.
Même constat dans l’aérien. Trop d’avions, trop de nuisances, trop de pollution constituent l’un des maux de notre monde en proie à une agitation incontrôlée. Le mouvement du « Flygskam » ( la honte de voler) lancé par l’égérie de la lutte contre le climat, n’a même plus besoin de meetings et manifestations géantes pour se faire entendre.
De fait, les avions sont cloués au sol et la pollution de l’air est en train de régresser de façon drastique. Le ciel redevient bleu, nous respirons mieux, les plantes et les animaux peuvent enfin regonfler leurs poumons, et les maladies respiratoires s’atténuent.
Des villes qui redeviennent présentables et fréquentables
Sans compter que des villes comme Delhi, Bangkok, Shanghai et en partie Paris, redeviennent présentables et fréquentables : l’évaluation d’Airparif conduite entre le 16 et le 20 mars « met en avant une amélioration de la qualité de l’air de l’ordre de 20 à 30% dans l’agglomération parisienne ».
Quant à la ligne de crête de l’Himalaya, elle retrouve de sa superbe alors que la chaîne elle-même épargnée par les trekkers redevient cette icône du tourisme planétaire qu’elle mérite d’être.
Sur le chapitre urbain, notons encore que les verdissements de la ville plébiscités par tous les mouvements écologistes du monde, sont en ce printemps devenus une réalité.
Les parcs, les jardins, les avenues, les balcons débordent d’une végétation luxuriante, oxygénée, ravie de pouvoir reconquérir les espaces qui lui ont été volés.
Quant au chant des oiseaux et au retour de certains animaux dans nos villes, ils sont aussi parfaitement du goût de cette aspiration unanimement partagée à renouer avec la nature et ses charmes.
Qui ne s’extasie par sur le retour de méduses et poissons dans la lagune de Venise ? Une cité enfin épargnée par des hordes de visiteurs peu respectueux de sa fragilité, qui goûte au bonheur de l’entre-soi.
Quand l’hôtellerie marchande reprendra ses droits
Dans un domaine plus exclusivement touristique, ne peut-on pas supposer aussi que les hébergements collaboratifs portés par ces énormes plateformes auxquelles les hôteliers font la guerre depuis des années, ne vont pas perdre du terrain ?
A l’heure où la profession établit des cahiers des charges truffés de normes sanitaires sévères, l’hébergement marchand plus rassurant pourrait tenir sa revanche sur les hébergements loués par des particuliers, dont on ignore s’ils seront d’ailleurs autorisés à ouvrir ?
Sans vouloir accabler les croisiéristes et leurs monstres flottants vilipendés par les populations des villes portuaires excédées par leurs nuisances, admettons que le problème est aussi pour le moment réglé.
Même celui des continents de plastique dérivant sur les océans commence à l’être. Aux poissons de redresser la tête pendant que quelque 25 millions de croisiéristes font la grimace !
Quant aux nuisances sonores dans les restaurants et les bars, la promiscuité, la foule, l’envahissement des trottoirs par des véhicules incontrôlables, ne font-ils pas également partie des problèmes en grande partie résolus par le confinement ?
Et que dire de ces guéguerres entre partisans du burkini et opposants, les voilà réglées, puisque demain toutes les femmes (et les hommes) sur les plages seront masqués. Et bien masqués.
Si une canicule avait aussi le bon goût de faire grimper les températures, ne verrait-on pas également des enfants et peut-être des adultes, engoncés dans des combinaisons de protection contre les UV ?
La triste victoire du sans contact
Hélas, derrière les images idéalisées d’une planète retrouvant en partie son état naturel, la réalité des jours que nous vivons et continuerons de vivre, se compose aussi en annulations de spectacles, de concerts, de musique, de rencontres, de convivialité et surtout de liberté.
La distanciation sociale crée de la méfiance, de l’isolement… Pire, les retrouvailles sont reportées aux calendes grecques. Et quel sale temps pour les amours de vacances !
Un monde sans contact est en train de se construire malgré nous, tandis que juchés derrière nos écrans, nous nous efforçons de suivre des visioconférences, d’assister à des apéro parties sur Skype, de se faire des signes d’amitié ou d’amour sur WhatsApp.
Plagiant la réalité, le virtuel vient indéniablement à notre secours mais ne perdons-nous pas peu à peu le sens du contact, le goût de l’autre, l’envie de se toucher ?
Dans le même registre, ne perdons-nous pas en partie notre sensorialité ? Laquelle était pourtant très vantée ces derniers temps par une nouvelle génération d’opérateurs découvrant que le tourisme du toucher, le tourisme olfactif, le tourisme sonore composeraient la palette d’un tourisme en total résonance avec la nature !
Enfin, tout cela ne nous fait pas oublier la catastrophe économique qui frappe quelque 300 millions de salariés du secteur touristique dans le monde, dont le présent et l’avenir sont pour le moment bien improbables.
Alors « meilleur des mondes » ? Oui, en partie, à condition que les transitions écologiques, économiques, géopolitiques, sociales se fassent dans le respect d’un touriste en quête de plaisir et de bien-être.
J’écrivais récemment que les années d’insouciance étaient terminées. Je ne crois pas m’être trompée.
tourmag du 3 mai