Futuromania ou futur business ?
Le 11 mai s’inscrira-t-il dans les agendas de l’Histoire comme un retour au déroulement naturel de l’avenir ? Rien n’est moins sûr. Car, d’ores et déjà, cette drôle de date choisie pour « déconfiner » la France ne nous ramène en aucun cas à la normalité que nous connaissions dans le monde d’avant. Le secteur touristique plongé dans la plus grande incertitude de son existence, est d’autant plus désemparé qu’il fonctionne comme le reste du pays, en dehors des normes qui sont les siennes. Pour pallier son anxiété présente, il se rue vers le futur…
Inutile d’égrener en détails la liste des désordres individuels, souvent de nature psychique, provoqués par 55 jours d’enfermement. Ils sont trop nombreux et en dehors de nos compétences.
Attardons-nous en revanche sur les bouleversements collectifs qui durant les mois à venir vont continuer de perturber nos existences.
En tête des « perturbateurs covidiens » : cette liberté de circulation surveillée et limitée qui nous est accordée, ces écoles dont on n’arrive pas à savoir si elles sont ouvertes ou fermées, ces espaces publics affichant le même flou, ces frontières dont on ne comprend pas quand elles ouvriront, ces distances à respecter, ces menaces de quarantaine, ces lavages de mains incessants et ces masques de toute facture que peu savent utiliser…
Non, le 11 mai ne fut pas un retour à la normale mais un plongeon dans un océan de cacophonie sur lequel il convient de naviguer en liberté très surveillée, au risque d’y perdre le peu de sérénité qu’il nous restait.
La faillite de l’été 2020 ?
Tandis que la maladie continue de rôder et que l’on nous promet une nouvelle vague épidémique, tandis que beaucoup attendent le choc de la crise économique puis sociale et se savent d’ores et déjà condamnés à tirer le rideau de leurs entreprises, le secteur touristique est toujours l’un des plus menacés. D’autant que les Cassandre ne manquent pas.
D’une part, 40% d’agents de voyages déclarent qu’ils pourraient mettre la clé sous la porte, 30% des compagnies aériennes en feraient autant.
L’hôtellerie pourrait ne pas retrouver ses niveaux de 2019 avant 2022, sans compter les risques de rachat pour les petits établissements.
Le cabinet Protourisme annonce même 6 millions de touristes nationaux en moins cet été. Même le géant Airbnb, la valeur sûre de l’économie collaborative, est d’autant plus mal en point qu’en France, on prétend lui opposer un concurrent national.
De leur côté, les autocaristes sauvés de justesse se demandent comment survivre, tandis que le monde de la culture perd ce qui lui restait de latin à travers les déclarations d’un président incitant les artistes à se « réinventer » alors que, comme le déclarait Jean-Michel Ribes, le directeur du Théâtre du Rond Point, les artistes passent leur temps à « réinventer » !
Cinéma sans scènes d’amour, théâtre sans frôlements, concerts sans spectateurs, festivals virtuels… Seules les salles fonctionnant avec 50 spectateurs seront autorisées, comme les petits musées. Mais, c’est quoi au fait un petit musée ?
Les plages, symboles du farniente estival deviennent dynamiques
Bien qu’il ne se passe pas une journée sans que des dizaines d’articles sur les prochaines vacances des Français paraissent, nos concitoyens ne sont pas pour autant renseignés sur les destinations et formules qu’ils pourront s’offrir.
Nul ne sait, mais tout le monde y va de son couplet sur ce que l’avenir proche nous réserve, notamment sur le plan de la circulation entre zones rouges et vertes. Lesquelles, pour faire simple, vont évoluer. Dans quel sens ?
Déjà, la zizanie règne sur les plages. Chacun veut y aller de sa méthode : louer des emplacements sur appli, attribuer des zones selon les âges, favoriser les résidents, limiter les horaires… De toutes façons, fini la bronzette !
La plage sera « dynamique ». Un bonheur sémantique !
Même constat en montagne : il faudra contrôler la liberté des marcheurs et réduire les activités collectives…
Et en ville, si la canicule ajoute ses foudres comme à Athènes en ce moment : comment fera-t-on pour faire un peu de tourisme ?
Les images touristiques dans la tourmente
Dans le flou donc dans la nécessité de se reconstruire : les réputations et les images touristiques nationales sérieusement chahutées par l’actualité cherchent à se réinventer, proposant leurs qualités sanitaires, leur bienveillance, leurs grands espaces, leur respect de la nature, leur soleil, leurs capacités à offrir des alternatives à un tourisme de masse qui devient un « tourisme masqué » !
Ainsi, la France qui se positionne depuis des décennies sur son patrimoine culturel, son art de vivre, sa gastronomie, sa diversité, son tourisme et son shopping de luxe… va devoir réparer son image après toutes les avanies qu’elle a connues récemment : grèves, manifestations, etc.
Et ce n’est pas sa gestion de l’épidémie actuelle qui va arranger les choses.
Les destinations concurrentes dans leurs médias, n’ont pas raté une occasion de déplorer les fausses manœuvres du pouvoir français, son impréparation, ses ratés et nos ridicules pénuries de masques et de tests ! Idem pour le Royaume-Uni, les USA, le Brésil… que la désinvolture de leurs dirigeants a largement contribué à affaiblir sur le plan international.
En revanche, l’Allemagne a conforté son image de sérieux et rassuré à la fois sa population et ses éventuels visiteurs sur ses capacités à gérer une crise sanitaire.
Taïwan, le Vietnam, le Japon sont aussi dans ce cas tandis que, plus près de nous, la Grèce et son très faible taux de mortalité liée au Covid (moins de 150 morts) force l’admiration et peut restaurer la confiance des touristes en rouvrant ses hôtels et frontières.
Le confinement, un modèle à calquer pour l’avenir ?
Quand une crise bouleverse le présent, après ces trois étapes incontournables : le déni puis la peur, puis la méthode, c’est l’après qu’il convient de gérer.
Considéré comme le seul horizon possible, il devient le moteur des espoirs pour demain.
Les imaginations s’emballent alors sous la pression de quelques penseurs de renom ayant déclaré à l’unisson que le monde de demain pourrait en profiter pour se réformer et tirer les leçons de la catastrophe.
D’autant que la période de confinement apparaît désormais comme un modèle sur lequel on pourrait calquer l’avenir (vous avez tous entendu les oiseaux chanter?).
Je fais pour ma part partie de ces militants du futur et du changement. Et j’ai eu beaucoup de plaisir à lancer avec TourMaG.com, un groupe sur Facebook intitulé « Demain le tourisme » tandis que je poursuis, d’un décryptage à l’autre, le travail de recherche sur le futur entamé il y a 22 ans.
D’ores et déjà près de 2 000 personnes ont adhéré à ces discussions qu’il faudra analyser au fur et à mesure.
Futuromania ou futur business ?
Mais, je ne crois pas aux grandes chevauchées lyriques laissant entendre que nous sommes au bord d’une « révolution » ! Non, côté révolution, je n’y crois que moyennement.
D’une part parce que le changement ne se décide pas. Il passe par des prises de conscience, puis par des décisions politiques nationales, internationales, régionales suivies de gestes forts qui, on l’a compris, ne seront pas forcément compatibles avec l’économie et l’écologie.
Il passe aussi par les évolutions sociétales spontanées qui sont à l’œuvre en permanence parmi les populations.
Ensuite, contrairement aux apparences, il n’est pas fait que de technologie et de réseaux qui font rêver et font peur à la fois !
Sans compter que notre incohérence « humaine trop humaine » nous met souvent exactement sur la voie opposée à celle souhaitée.
Ainsi, le plastique que l’on voulait chasser hier, revient en force, indispensable à la protection de bon nombre de professions !
Nous pouvons donc essayer de détecter les signaux du changement et les comprendre, mais surtout ne soyons pas tentés de faire de la futuromania ambiante du « Futur business » et rappelons que malheureusement, les dernières tentatives de rencontres autour du tourisme du futur comme les Entretiens de Vixouze ou Into Days à Cannes n’ont pas remplacé notre tourisme terrestre par un paradis virtuel !
tourmag du 26 mai