[Into Days] Les paradoxes du surtourisme
Qui est responsable du surtourisme ? Le voyageur ou les pros du secteur ? Ces questions ont fait débat lors d’une table ronde organisée dans le cadre d’Into Days.
Barcelone, Venise, Amsterdam : depuis quelques années, le sur-tourisme nourrit débats interprofessionnels et occupe l’espace médiatique. « C’est d’ailleurs surtout un sujet médiatique », estime Paul Arseneault, titulaire de la chaire de tourisme Transat et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), lors d’Into Days, organisé jusqu’au 31 janvier à Cannes. « Au Canada, nous prenons souvent Barcelone pour exemple quand on évoque le surtourisme. Barcelone est la 28ème ville la plus visitée au monde. Pourquoi les 27 premières n’ont pas de problème de surtourisme ? », interroge Paul Arseneault.
Avec sa vision très nord-américaine du sujet, le prof de fac détonne. « L’industrie du tourisme est celle qui s’auto-flagelle le plus. Depuis 40 ans, Barcelone, comme toutes les destinations du monde, investit largement pour faire croître sa fréquentation touristique. Et d’un coup, nous serions responsables car nos stratégies de promotion ont fonctionné ? C’est totalement paradoxal », analyse Paul Arseneault. Un constat partagé, au moins en partie, par Guillaume Cromer, directeur du cabinet ID Tourism : « Le surtourisme existe car nous n’avons pas anticipé le succès de nos propres campagnes de promotion ».
Pour autant, les problématiques liées au surtourisme – sites saturés, plages bondées, tourismophobie – existent dans certaines régions. « Des outils technologiques pour redéployer les flux de visiteurs quand cela est nécessaire existent », explique Marie-Antoinette Maupertuis, présidente de l’Agence de tourisme de Corse, engagée dans une redéfinition de l’offre touristique corse. « Nous intégrons ce genre de réflexions de façon systémique dans notre nouvelle stratégie. La Corse attire 3,2 millions de visiteurs, dont 2,7 millions concentrés sur trois mois. La question n’est pas de faire la promotion de l’île, tout le monde connaît ses richesses. Elle est plutôt de faire venir des touristes hors-saison tout en intégrant tous les acteurs locaux du tourisme dans une démarche de transition écologique », précise l’élue. « C’est notre rôle de pouvoirs publics de surveiller l’impact du tourisme et aussi de savoir saisir l’air du temps ».
Vers des projets de destination durable
Pour Guillaume Cromer, ce sont d’ailleurs les élus locaux qui doivent, avant tout, « changer de métrique. Quand on discute avec eux, ils cherchent toujours plus de croissance du nombre de visiteurs. C’est vrai dans toutes les régions. Il faut donc se demander si nous restons dans un modèle basé sur la croissance et les retombées économiques ou si l’on s’intéresse à la performance durable de sa destination », estime le consultant. « D’autant plus que l’offre suscite aussi la demande. En élaborant un projet de destination durable, préservée et responsable, nous créons une adhésion du touriste lui-même, qui agit différemment, à l’image de ceux qui visitent le Costa Rica », pense Marie-Antoinette Maupertuis. « Nous pouvons aussi activer des leviers pour inciter les acteurs locaux à adhérer à cette vision, même si nous n’avons pas les mains totalement libres » (sur la fiscalité incitative par exemple).
La régulation par les pouvoirs publics provoquerait donc un effet d’auto-régulation chez les touristes comme chez ceux qui les accueillent. « Nous diabolisons beaucoup le touriste. Pourtant, il a souvent voyagé, il est éduqué, et il n’est pas si bête qu’on voudrait le croire : s’il sait que le GR20 est impraticable en raison de la foule sur une période donnée, il peut en choisir une autre », tempère Paul Arseneault. « Nous ne pouvons pas dire que nous sommes victimes d’un système qui nous amènerait des touristes dont nous ne voulons pas », appuie-t-il, renvoyant la problématique à une question de démographie mondiale plutôt que de surtourisme. « Il y a de plus en plus d’habitants sur Terre, et donc de plus en plus de touristes. Il faudra composer avec ». « Ce qui ne nous empêche pas de fixer un cap ! », conclut Marie-Antoinette Maupertuis.
Selon l’OMT, en 2018, 1,4 milliard de touristes (+6%) internationaux ont voyagé, soit une avance de deux ans sur les propres prévisions de l’organe des Nations Unies.
echotouristique du 31/01/19