Mai 2020 : sous la plage, les pavés !
La tribune de Philippe Mugnier
Alors que la date de déconfinement approche et que les comptes en banques des particuliers comme des entreprises font pâle figure, l’actualité médiatique révèle une obsession des Français, non pas pour leurs modalités de reprise du travail mais pour la planification de leurs prochaines vacances estivales…
Dans la hiérarchie des réponses attendues de la puissance publique, la question de la réouverture des plages et des déplacements estivaux semble autant, voire plus centrale que celle des modalités du retour en entreprise.
Et vous, vous allez faire quoi pour vos vacances d’été demande Monsieur Dupont à son voisin masqué, tout comme lui voyageur et aventurier d’ascenseur… ?
Dans ce grand chamboule-tout imposé par cette tragédie covidienne, s’il est bien une partie de notre logiciel personnel qui n’a pas bougé, c’est l’idée que les vacances d’été, cela reste sacré, pas touche aux rites juilletistes ou aoûtiens des estivants !
Au drame des morts du Covid-19 et d’une économie massacrée ne peut donc s’ajouter celui de vacances d’été amputées, le bouchon serait poussé trop loin. On fera les comptes à la rentrée de septembre, entre-temps, vacances et rosé SVP !
On a suffisamment morflé depuis mars n’est-ce-pas ?
Alors place au farniente – et maintenant ! Toucher à notre culture vacancière, c’est toucher à notre intégrité, c’est une question civilisationnelle Monsieur – et vive la France !
Car les vacances appartiennent désormais au registre des libertés fondamentales, celles qui conditionnent notre dignité si elles venaient à être chahutées.
La France moderne issue de 36 et des congés payés s’est construite avec des billets de banque affublés d’une Marianne aux nibards à l’air pour acheter sa glace vanille-pistache.
Sur cette base, l’exposition des corps sur nos plages est depuis devenue notre grande messe républicaine annuelle.
Depuis le 17 mars, passe encore de se voir infantilisé par des attestations de sortie, des injonctions à en baver pendant le confinement, une déresponsabilisation de soi par l’omniprésence des pères fouettards, une propagande d’état télévisuelle, une vie démocratique à marée basse, un abrutissement à coup de petit baigneur de Funes pour seule évasion culturelle… passe encore donc tout cela, mais les vacances, enfin, les vacances, non –
Les pétards sont déjà prêts à sauter, et ce bien avant le 14 juillet.
PAS-LES-VA-CAN-CES !
Cette séquence estivale qui paraissait traditionnellement futile ou secondaire dans notre savoir-être national s’affirme plus que jamais vitale et centrale pour les citoyens. Dont acte – vox populi vox… !
Outre l’impératif économique qui sous-tend la réouverture rapide des entreprises touristiques, toucher aux droits acquis des vacances déclencherait sans nul doute une véritable bombe politique, alors que les pétards sont déjà prêts à sauter, et ce bien avant le 14 juillet.
A la guerre comme à la guerre, certains imaginent pourtant dans leur for intérieur, sans oser trop l’exprimer cependant que, pour rattraper le « temps perdu », les mômes aillent à l’école jusqu’à fin juillet et leurs parents au boulot plutôt qu’au camping, parce que vous comprenez, dit la petite musique, il faut bien relancer la machine économique, un peu de pudeur et de sueur que diable, au turbin les gars les filles, les vacances peuvent attendre… !
Sauf que la machine économique, l’été, c’est le tourisme. Vous en voyez d’autre vous ? Même s’il faut bien remplir son frigo, imaginez-vous un instant un mois d’août laborieux (sauf pour les cafetiers j’entends) ?
Stop, pas touche aux congés, autrement on ressort illico-pesto maillots et bonnets de bain jaunes ! Après huit semaines de confinement, bien que fatigués psychologiquement, alors que les corps n’ont peut-être jamais été autant reposés, ceux-ci réclament déjà à se prélasser ?
Allez, vite – au turbin ! se tentent à relayer certains éditorialistes, et quand vous aurez bien bossé, les vacances pourront s’envisager… Une telle expression est évidemment difficilement assumable et du reste peu s’y sont risqués…
C’est quoi un tourisme d’hyper-proximité ?
Les politiques et employeurs qui ont osé évoquer la prise de congé sur la période de confinement se sont pris une volée de bois vert. Alors se diffuse l’idée d’un tourisme d’hyper-proximité pour cet été…
Quel drôle de concept tout de même ! C’est quoi un tourisme d’hyper-proximité sinon une pratique de loisirs du dimanche que l’on répète tous les jours qui suivent… ?
On accueille des amis chez soi puis, à moins d’une heure de route, une balade ici, un château et un musée par-là, puis on recommence le jour d’après ?
Cela, c’est dans le meilleur des cas, car beaucoup de français ont toujours trouvé leur dimanche ennuyant, alors c’est ennuyeux – les multiplier en semaine, c’est pas glop !
Franchement, ce concept d’hyper-proximité est-il la conséquence d’une exigence de prudence sanitaire dont l’efficacité reste à prouver ou plutôt la volonté de faire passer l’idée que, puisque cet été va être aussi similaire à tant de dimanche déjà vécus, autant aller au boulot !?
Difficile de se risquer à ce procès d’intention. Bref, chacun pressent qu’à la rentrée de septembre, tout le monde va morfler dans ce monde à réinventer.
Notre énergie et créativité seront alors à dédoubler, pour bosser ou pour gueuler. Alors, siouplaît, avant de basculer définitivement dans l’autre monde, accordez-nous une toute dernière parenthèse enchantée, faite de vraies libertés et autres joyeusetés, vive les vacances d’été, et pas que de proximité !
Sinon, à la rentrée, sous la plage – les pavés !
tourmag du 7 mai