Mouvement #Flygskam – Adapter sa stratégie marketing ou business as usual ?
Depuis quelques jours, plusieurs médias de masse ont repris l’information comme quoi une certaine honte de prendre l’avion s’installait en Suède et que le ferroviaire revenait en force dans le pays. Ce phénomène s’appelle flygskam. Apparemment, de plus en plus de voyageurs suédois ont décidé de changer leurs habitudes, considérant que l’avion pollue trop, préférant ainsi prendre le train pour leurs déplacements dans la lignée de ce que Greta Thunberg avait fait pour rejoindre Davos il y a quelques semaines. Ce phénomène va-t-il s’étendre ? Que doit faire une destination dèss.ti.na.scion – féminin
Initialement conçu pour désigner l’usage final et réel d’un objet, le mot destination est devenu par polysémie le lieu ou l’ensemble des lieux vers lequel un usager(…)
« >destination face à cela ? Qu’est-ce qui peut être anticiper ?
L’avion de plus en plus pointé du doigt
Oui, l’avion est de plus en plus critiqué par rapport à son impact négatif sur le dérèglement climatique. Les dernières études parlent d’un impact de 3 à 5% pour l’aérien touristique sur le total des gaz à effet de serre. L’étude australienne disait que le tourisme dans son ensemble pesait 8% des impacts sur des chiffres de 2013. Dans une interview récente dans l’Echotouristique, Jean-François Rial, patron du groupe Voyageurs du Monde disait clairement que face au réchauffement climatique, notre industrie du tourisme était en danger. Voici ce qu’il dit : « Certes, l’aérien ne pèse aujourd’hui que 3% des émissions de CO2 – ce qui est déjà colossal par habitant. Mais il pèsera dans les années à venir 7% puis 15%, avec l’augmentation très forte du trafic aérien. Si nous voulons respecter les engagements du GIEC, qui consistent à diviser par deux les émissions de CO2 d’ici 2030 par rapport à 2010, deux visions s’affrontent. Soit on considère comme moi que le voyage a une utilité économique et sociale, alors on doit tout faire pour réaliser des économies de CO2 à trafic constant, et pour le reste on absorbe. Soit on pense le contraire, et on considère qu’il ne faut plus voyager en avion. »
Or, la vision de l’absorption carbone (ou la compensation) est majoritairement encore un dédouanement pour les voyageurs (pour ceux qui le font) et le prix de la tonne carbone fixé sur les marchés ne correspond pas à aucune réalité concrète pour réellement créer ou protéger des puits de carbone (en particulier les forêts). Selon les scientifiques, elle devrait être à 150€ la tonne alors que le groupe Voyageurs du Monde absorbe à un coût plutôt de l’ordre de 8 – 10 € la tonne.
Et surtout, le tourisme international et l’aérien explosent à l’échelle mondiale. Et c’est bien cette augmentation massive qui impacte sur le climat. C’est ce qui inquiète Laurent Castaignède, fondateur du bureau d’études BCO2 Ingénierie : « Aucune technologie ne compense véritablement l’actuelle explosion du trafic de passager. Le trafic de passagers est passé de 30 milliards de kilomètres-passagers en 1950 à 8.000 milliards en 2017.» Et ce n’est pas un pic. En octobre dernier, l’association internationale des compagnies aérienne (IATA) prévoyait un doublement du trafic mondial sur les vingt prochaines années, pour atteindre 8,2 milliards de passagers en 2037 contre 4,1 milliards en 2017.
Forcément, avec l’urgence climatique de plus en plus présente et les appels à manifester, à faire de la désobéissance civile ou autre, l’aérien est pointé du doigt fortement !
#flyless, #flygskam, #staygrounded
Alors, voilà, de plus en plus de signaux faibles apparaissent pour pousser les gens à prendre moins l’avion, à rester à terre et même à faire le deuil de certaines destinations que je le disais dans ce papier sur le « blues climatique des blogueurs voyages ». Comme il est précisé dans cet article du Monde (désolé, pour les abonnés uniquement), le phénomène flygskam est en plein développement depuis la fin 2018 en Suède et dans les pays voisins. Ce concept est d’ailleurs en train de se propager dans tous les pays développés. Face à l’urgence climatique, les gens sont prêts à renoncer à l’avion, aux voyages lointains pour prioriser le train même si c’est plus long, même si c’est plus cher. Ce n’est bien sûr qu’une minorité de gens (les chiffres du tourisme international pour les Suédois augmentent) mais ça commence néanmoins à faire du bruit, en France aussi. Avec la médiatisation de plus en plus forte des marches pour le climat, des actions d’Extinction Rebellion, de la collapsologie et de Greta Thunberg, la prise de conscience sur la nécessité de changer radicalement nos consommations (et donc aussi notre manière de voyager) pousse logiquement…
Beaucoup d’entre nous ont du mal à l’admettre, mais il existe certaines activités dont l’impact climatique n’est gérable, à court terme, qu’en réduisant le volume de ces activités. L’aviation est un cas emblématique.
Faut-il prendre ce phénomène au sérieux pour les destinations ?
Mais alors, que faut-il faire pour une destination, pour un CRT, une ADT, un office de tourisme ? Selon moi, oui ! Je pense que ce phénomène flygskam n’en est encore qu’à ses prémices et cela devrait engendrer aussi des nouvelles taxes et des nouvelles lois dans les mois et années à venir voir des suppressions de lignes aériennes comme on a pu le voir dernièrement avec des élus néerlandais qui ont proposé la suppression de la ligne aérienne entre Amsterdam et Bruxelles le 11 mars dernier. On voit bien que l’étau est en train de se resserrer sur les compagnies aériennes. Les Pays-Bas et la Belgique ont plaidé en faveur de l’instauration d’une taxe européenne sur le transport aérienne afin de lutter contre le réchauffement climatique. La secrétaire d’Etat française a soutenu cette proposition et de plus en plus de professionnels du tour-operating français comme Jean-François Rial pousse à la taxation du kérosène.
Pour certaines destinations touristiques fortement dépendantes à l’aérien, cela paraît tout à fait légitime de prendre très au sérieux ces informations. Je parle bien entendu des destinations insulaires totalement dépendantes de l’aérien mais je conseillerais volontiers à des destinations métropolitaines de mesurer leurs dépendances à la venue de touristes en avion… juste histoire de construire un scénario de résilience.
Adapter la stratégie marketing et les opérations de promotion pour éviter cette dépendance ?
Avant que ne sois instauré officiellement l’indice de performance touristique dans les destinations françaises puis européennes (et ainsi adapter logiquement les ambitions politiques du tourisme), je pense qu’il est important pour les OGD d’adapter au mieux les stratégies marketing et opérations de promotion face à ces phénomènes et aux futurs impacts :
- Mesurer précisément l’efficience des campagnes de promotion et actions marketing vers des bassins émetteurs étrangers dédiés : Et oui, c’est bien beau d’aller chercher les indiens et les chinois avec des budgets de coopération bilatérale mais ce serait bien de voir la véritable efficacité de tout ça en termes de retombées économiques pour le territoire et les socio-professionnels. Puis, intégrer le coût carbone de la venue de ces visiteurs étrangers dans le coût des campagnes pour voir si ça reste toujours intéressant en termes de ROI… Corinne Morel Darleux, Conseillère régionale Auvergne Rhône Alpes va même plus loin dans ces propositions…
- Réduire votre dépendance à l’aérien et donc aux marchés étrangers lointains : Les avions propres n’arriveront pas avant 2040. Le pic pétrolier sera là en 2025. Franchement, je ferais plus le pari des marchés de proximité que des marchés lointains pour les 10 ans à venir… et pour cela, il y a un important travail de marketing et d’adhésion des habitants et autres clientèles locales pour découvrir leur propre territoire.
- Construire des actions marketing en fonction des bassins émetteurs dont la venue est la plus frugale en carbone : Ca paraît bizarre comme ça mais regarder les destinations faiblement émettrices, de proximité pour des publics capables de venir facilement en train et rapprocher vous de Oui.sncf, de Trainline et du réseau régional des TER pour commencer à imaginer du cobranding…
Et quid de l’offre dans nos destinations ?
Et oui ! Si les stratégies marketing de la demande bougent, il va bien falloir faire évoluer les offres, la production, le design des produits, non ? Voilà quelques idées et recommandations concrètes pour s’adapter au flygskam:
- Eviter de construire des packages tourisme d’affaires pour quelques jours pour des clientèles lointaines : Jean-François Rial le dit bien dans son interview : « Je pense que les congrès de moins de 5 jours en venant en avion, ce n’est plus possible. Je pense que notre industrie est en danger, si elle ne prend pas conscience qu’elle peut être pointée du doigt. »
- Accompagner les professionnels trop dépendants des marchés lointains : Ces professionnels vont devoir repenser leur offre, pivoter, s’hybrider. Et le rôle des OGD va être de les accompagner pour être en phase avec la stratégie marketing et avec l’évolution des contraintes réglementaires et climatiques.
- Développer des offres sans voiture à partir des gares et des villes: Comme l’a fait la Bretagne avec la campagne « En Bretagne sans ma voiture » soutenue par l’ADEME, je pense que les destinations vont devoir intégrer beaucoup l’accessibilité à faible carbone dans la construction et le design des offres. L’itinérance va continuer à se développer et il va falloir capitaliser dessus avec des offres globales, cohérentes et expérientielles.
- Mettre la pression sur vos élus (régionaux et nationaux en tête) pour continuer à soutenir la filière du ferroviaire et à développer les offres de jour comme de nuit !
Guillaume Cromer