Quels impacts probables et quelles opportunités pour le tourisme face à la crise ?
Le point de vue de Jérôme Piriou, enseignant-chercheur à La Rochelle Business School, spécialiste du secteur du tourisme
Pour Jérôme Priou, le temps du « tourisme de cueillette » c’est révolu. La crise est passée par là. Pour certains professionnels, qui considéraient le tourisme comme quelque chose qui arrive naturellement, les temps seront plus difficiles prochainement. Les visiteurs seront d’autant plus exigeants que le temps vacant risque d’être plus contraint et leur budget aura probablement diminué.
Le tourisme est un secteur qui est en changement constant et s’est toujours emparé des opportunités.
Plusieurs phases ont ainsi jalonné l’histoire du tourisme :
À ses débuts, au 19e siècle : une phase artisanale, un balbutiement avec des premières formes d’accueil pour loger les premiers visiteurs,
Au 20e siècle : une phase industrialisée apportant une professionnalisation, par exemple avec des créations de forfaits,
Et plus récemment : une phase mondialisée avec la possibilité à des habitants de toute la planète de se déplacer partout, notamment grâce aux technologies performantes.*
La crise sanitaire que nous traversons aura une seule vertu : « obliger » les professionnels à innover car c’est en situation de crise, que les acteurs cherchent et trouvent des solutions.
Pour certains professionnels, qui considéraient le tourisme comme quelque chose qui arrive naturellement, un « tourisme de cueillette », les temps seront plus difficiles prochainement.
Les visiteurs seront d’autant plus exigeants, car le temps vacant risque d’être plus contraint (durée du séjour avec une perte de jours de congés, conditions des mesures sanitaires sûrement limitantes), et leur budget aura probablement diminué (1 salarié sur 3 des entreprises privées actuellement au chômage partiel ne sera pas sans conséquences)
Les professionnels du tourisme devront donc avoir un appétit modéré et prendre en compte ces paramètres. Tout comme les touristes devront être raisonnables et réfléchir à payer un prix juste.
Une crise qui met au défi la mondialisation touristique
Quels impacts probables et quelles opportunités pour le tourisme face à la crise ?
Le tourisme a déjà connu sa révolution par sa mondialisation.
Cette pandémie qui touche une grande partie du Monde (des milliards d’habitants confinés) n’est finalement qu’une mise au défi de la mondialisation touristique.
Pourquoi ? En fait, les relations géopolitiques conditionnent, habituellement, en grande partie la mondialisation touristique. En effet, certains pays ouvrent/ferment leurs frontières, ou rendent plus complexe l’accès à un pays.
Par exemple, le contexte du Brexit britannique interroge énormément sur les conditions de mobilités entre l’Europe et la Grande Bretagne. Aussi les professionnels du tourisme français s’attendent à une baisse, qui serait logique, de touristes britanniques dans les années à venir.
Donc les professionnels du tourisme français vont parier sur d’autres marchés pour compenser cette baisse, par exemple en allant séduire les habitants du BENELUX.
Or dans cette pandémie tous les pays sont concernés et la compensation par d’autres marchés semble impossible. Donc chaque pays est face à une situation nouvelle et inconnue.
Cette lecture doit permettre à la France de relativiser sa situation, car elle n’est pas la seule en difficulté, l’ensemble des pays connait ce problème, le trafic aérien mondial en est d’ailleurs quasi nul.
Aussi, on a bon espoir que les mesures de confinement levées, les conditions sanitaires de déplacement assurées, la mondialisation touristique se poursuive.
De toute façon, les investissements financiers d’entreprises étrangères dans des entreprises du tourisme français (Quatar, Chine…) ne sont pas désengagés à ce jour, ce qui témoigne d’une volonté de poursuite de cette mondialisation touristique.
Des répercussions sur le tourisme de masse ?
Bien que controversé dans notre vision occidentale, le tourisme de masse est pour autant rassurant dans une vision orientale. Un touriste chinois, est rassuré de visiter un lieu qui reçoit beaucoup d’autres touristes, cela est signe de qualité.
Par ailleurs, le touriste occidental recherche aussi des lieux qui reçoivent beaucoup de touristes (par exemple, la côte d’Azur). Cette expression « tourisme de masse » est contestée car qu’est-ce que la « masse » ?
Effectivement, le chiffre de 500 000 visiteurs dans le petit village de Collonges la Rouge (Corrèze) sera considéré comme important compte tenu de la superficie du village. Mais, La Rochelle acceptera bien volontiers ces 500 000 visiteurs.
Paradoxalement, on n’a jamais parlé d’événement de masse aux Francofolies de La Rochelle avec ses 90 000 visiteurs. Et les commerçants, hôteliers et restaurateurs ou habitants rochelais, ne s’aventureraient pas sur ce terrain. Pas plus que ceux de Collonges la Rouge dont l’économie repose exclusivement sur le tourisme.
Les chercheurs parlent alors de « capacité de charge ». Pour autant, ils peinent à définir un seuil. Pour preuve, on n’a jamais vu de lieux touristiques qui se sont vidés brutalement car il y avait trop de monde.
La qualité environnementale peut en être en revanche affectée. Il est vrai qu’actuellement, sans aucun touriste, à Venise, la couleur de l’eau des canaux est plus claire. Il est aussi exact qu’il y a moins de déchets laissés sur les plages. Mais d’un autre côté, alors même que les habitants ne peuvent se déplacer en ce moment, il serait réducteur d’attribuer ces maux qu’aux pratiques des touristes.
La crise ne sera pas un levier pour l’évolution vers un tourisme raisonné et durable
Un tourisme raisonné et durable tiendra seulement si les professionnels ont la capacité d’adapter leur offre et de montrer comment appréhender le territoire, la prestation. Les touristes, finalement, agissent selon la possibilité offerte par les acteurs locaux.
Si à Barcelone et à Venise, les logements sont devenus inaccessibles pour les habitants, les municipalités, elles, remplissent les caisses de la ville par diverses taxes et recettes et laissent faire.
Il faut rappeler qu’un touriste est un individu, qui est « étranger » au territoire, qui, par définition, ne le connait pas forcément très bien, car il n’y réside pas à l’année, et va le découvrir sur son temps de séjour touristique, selon les informations transmises par les acteurs locaux.
Il convient donc de ne pas « faire la morale » au touriste, mais bien que les professionnels changent la manière d’agir pour que les touristes y trouvent une réponse à leurs attentes, sans que cela impacte négativement le cadre de vie des acteurs locaux.
Il faut aussi rappeler que le tourisme est une libération de contraintes, d’un cadre routinier. Le touriste, pendant son séjour (qui s’inscrit dans l’espace et dans le temps), veut se sentir libre avec le moins de contraintes possibles, pour créer une rupture avec le quotidien.
Aussi toute action, même justifiée pour les acteurs locaux (au prétexte de l’écologie, de l’économie…), qui rappellerait des contraintes aux touristes (barrières, conditions…) engendre le risque que ces derniers changeraient de destinations.
Par exemple, la mise en place de la navette obligatoire pour accéder au Mont St Michel a fait diminuer la venue de certains autocaristes, générant une baisse pour l’économie du site. Et les choix de destinations internationales sont aujourd’hui nombreuses et concurrentes parfois avec des tarifs qui pourraient paraître comme une forme de concurrence déloyale pour les professionnels du tourisme français.
D’où un message bienveillant à conserver, car avec une expérience de plus de cent ans de tourisme en Europe, les professionnels du tourisme ont plus besoin des touristes que les touristes n’ont besoin d’eux (à en croire l’explosion des alternatives Air BNB, Blablacar…).
Pourtant, les professionnels sont vraiment utiles aux touristes, encore faut-il que les touristes le sachent et puissent le vérifier.
Quelles incidences probables de la crise sur les choix touristiques cet été ?
Il semblerait que les touristes français choisissent avant tout la France par défaut, faute de garantie d’ouvertures des frontières européennes, en excluant inévitablement toute sortie de l’espace Schengen.
Par ailleurs, à ce jour, nous ne connaissons pas non plus les mesures sanitaires envisagées si des déplacements touristiques sont réalisables cet été, même au sein de la France métropolitaine.
Certaines études commandées par des agences de développement touristique (département ou région) témoignent qu’une partie des français privilégierait leur région.
On se rassure comme on peut, mais c’est le principe même du tourisme qui est tout de même remis en question : des contraintes versus le relâchement, le quotidien versus du hors quotidien. Au final, si les français perçoivent trop de contraintes (financières, sanitaires…) les prochains mois semblent très délicats pour espérer une fréquentation touristique suffisante, même domestique.
Après il faut être prudent dans l’appel à un tourisme domestique. Si tous les pays en font de même, les habitants vont consommer. Mais l’entrée de devises étrangères sera nulle ou quasi-nulle. Les relations entre les pays y compris en Europe seront impactées à l’issue de cette crise.
La France aura une carte à jouer sur le plan de la diplomatie, et en premier lieu pour son tourisme, puisque qu’elle se revendique haut et fort comme parmi les destinations les plus plébiscitées.
La déclaration d’amour affichée sur les murs des terminaux de l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, à destination des touristes, « Paris n’attendait plus que vous » prendrait du sens, et même si on l’adaptait « La France n’attendait que vous ».
TOURMAG DU 17 avril