Tourisme : « Il faut un plan d’urgence, doublé d’un plan de relance », selon le député Didier Martin
Interview du député Didier Martin (LREM), corapporteurs de la mission d’information sur le tourisme
Le tourisme est sans doute l’industrie la plus touchée et elle le sera durablement en raison de la fermeture des frontières et d’une crise qui devrait se prolonger. Si le temps des lamentations est terminé, l’industrie doit devenir proactive et mener la lutte pour sa survie. Le député de la Côte-d’Or, Didier Martin (LREM) appelle le gouvernement à adopter un « plan Marshall d’urgence » mais aussi à réinventer notre tourisme.
TourMaG.com – Vous avez rédigé une tribune intitulée « Tourisme : les jours d’après », alors que pour une fois le président Emmanuel Macron et le gouvernement semblent prendre conscience de l’importance de notre industrie. Pourquoi avez-vous décidé de faire entendre votre voix maintenant ?
Didier Martin : Le tourisme français est plongé dans une crise sans précédent, sans commune mesure avec ce que nous avons connu en 2009 avec le SRAS, à tel point que de nombreuses entreprises sont menacées de disparition.
J’ai pris le parti d’intervenir, dans cette période obscure, car nous devons leur redonner de l’espoir mais aussi de la visibilité sur leur redémarrage.
Il est nécessaire d’établir un plan économique pour le tourisme français, un plan Marshall d’urgence pour sauver le secteur.
TourMaG.com – De quoi celui-ci serait-il composé ?
Didier Martin : Il y a plusieurs volets à aborder, dont celui économique. Il est important d’intervenir sur les loyers, les frais bancaires, les assurances, les charges sociales, etc.
Nous devons sauver dans cet incendie ce que nous pouvons, puis penser aux saisons à venir et réfléchir au tourisme de demain.
Si l’économie est importante, pour soutenir des entreprises amoindries, il est indispensable de communiquer un planning sur une reprise des activités et un déconfinement des établissements dès le mois de juin 2020.
Des mesures d’urgence, précises et très fortes doivent être prises.
TourMaG.com – Vous plaidez donc pour une réouverture des hôtels et établissements touristiques dès le mois de juin 2020, mais d’après vous les acteurs se préparent-ils suffisamment ?
Didier Martin : Bien évidemment, la profession doit être force de proposition pour reprendre une activité en garantissant la protection de la santé de ses salariés et de ses clients.
Des mesures sont à envisager au cas par cas, établissement par établissement, pour assurer les gestes barrières.
Mon appel à une réouverture en juin fait suite à l’appel de différents chefs français, je sais que les syndicats travaillent dans ce sens et vont prochainement faire des propositions.
Je demande au gouvernement d’entendre ces promesses de façon à permettre un déconfinement dans la sécurité, tout en permettant une reprise de l’activité.
Le drive n’est pas une réponse adéquate pour l’ensemble des restaurants, la réouverture est indispensable tout en s’adaptant aux contraintes du moment.
Plan de relance : « je préconise que nous devons mettre environ 10% de cette enveloppe globale sur le tourisme »
TourMaG.com – Dans votre tribune vous parlez d’un manque à gagner de 40 milliards pour le tourisme. Dans le même temps, le gouvernement a débloqué des prêts garantis par l’Etat à hauteur de 552 millions d’euros. Vous ne trouvez pas que nous écopons un bateau de croisières avec une petite cuillère ?
Didier Martin : En effet, je pense que nous prenons actuellement conscience de l’ampleur de la crise économique. Elle sera mortelle pour de nombreuses entreprises.
Il est nécessaire que ce plan Marshall ne se cantonne pas à des mesures d’urgence, mais doit être couplé à un plan de relance à hauteur du poids économique du secteur.
Les économistes estiment le poids du tourisme à environ 7% du PIB, pour 2 millions d’emplois, le plan de relance doit être en proportion.
En matière générale, les pays européens prévoient un investissement à hauteur de 10% du PIB pour le soutenir et relancer l’économie. Je préconise que nous devons mettre environ 10% de cette enveloppe globale sur le tourisme.
Je prévois deux aspects, d’une part une campagne promotionnelle pour les destinations France, avec deux volets dont l’un destiné aux Français et l’autre aux voisins européens.
Il ne faut pas oublier que l’espace Schengen représente la première source émettrice de touristes, il est nécessaire que leur prochain choix se porte sur notre pays.
De plus, nous devons mener une campagne 4 saisons avec si possible des vacances clé en main, c’est-à-dire qu’elles comprennent le transport, l’hébergement, les visites, etc.
Il faut faciliter l’achat de la destination France.
TourMaG.com – Il va donc être indispensable de revoir la façon de distribuer et vendre le tourisme?
Didier Martin : Il est indispensable de mener un acte de promotion, mais aussi marketing sur l’ensemble des produits.
Il est nécessaire d’inciter au patriotisme touristique des Français, mais aussi à l’étranger, une fois que les frontières vont rouvrir.
Le grand plan de relance doit inévitablement être adossé à un plan d’investissement, pour imaginer les infrastructures et le tourisme de demain.
Nous devons renforcer le tourisme durable, il sera selon moins notre principal atout à l’avenir, l’art de vivre et le patrimoine.
TourMaG.com – Les agents de voyages pourraient aussi être mis à contribution pour vendre la France ?
Didier Martin : Il nous faut un plan global, c’est évident. Le tourisme institutionnel doit se mobiliser dans un travail de mutualisation, en faisant de la veille marketing dans leur région au profit des autres.
Il est indispensable d’écouter les besoins de la population française, les plans marketing ne doivent pas être centrés sur les intérêts de chacun, mais pour le bien commun.
Les données doivent être mutualisées, car tous les territoires sont émetteurs de touristes et nous devons mieux les comprendre, pour adapter l’offre et les communications.
Le plan de relance ne doit pas se faire au détriment des uns ou des autres, il doit être solidaire.
France : « les Chinois ont constitué une bulle économique »
TourMaG.com – Il ne faut oublier que le tourisme en France est relativement onéreux, est-ce que les infrastructures pourront répondre à la réalité économique des Français ? Le gouvernement doit-il aider aussi nos compatriotes pour les inciter à partir à proximité ?
Didier Martin : L’aide au départ des Français correspond à une autre action.
Je suis député de la commission affaire économique, mais cela correspond à un autre levier. Je me situe plutôt dans un tableau général et propre à un secteur.
Quand je parlais des vacances clé en main, il est nécessaire que les packages répondent aux besoins de l’ensemble de la population : des palaces aux campings de plein air, tous les budgets doivent être couverts.
TourMaG.com – Vous aviez travaillé l’année dernière sur le paysage touristique français. Cette crise révèle la grande fragilité de notre modèle de développement axé principalement sur une clientèle asiatique et américaine, tout en délaissant notre trafic domestique ?
Didier Martin : Vous avez en partie raison, car les Français constituent bien souvent la première nationalité.
Dans le même temps, la clientèle chinoise a été la plus nombreuse dans beaucoup villes et destinations françaises.
Ils remplissent un certain type d’hôtels, plutôt haut de gamme. Ils font des escales plutôt que des séjours. Les Chinois ont constitué une bulle économique sur-gonflée.
Néanmoins, si nous focalisons bien souvent l’attention les Chinois, les Français et les Européens constituent notre fond de clientèle.
Attention, il va être important de mettre en œuvre des mesures spécifiques pour l’Outre-mer, surtout que ce sont des territoires totalement dépendants du trafic aérien.
Pour inscrire l’Outre-mer dans un tourisme durable, il faut le réinventer pour le rendre plus accessible.
« Notre réflexion a été anesthésiée » par l’unique conquête de la clientèle étrangère
TourMaG.com – Les plans que vous appelez à mettre en œuvre doivent être étalés dans le temps. Pour illustrer cela, je vois mal la clientèle française pouvoir à elle seule sauver les palaces de notre pays, des établissements exclusivement tournés vers l’étranger. Qu’en pensez-vous ?
Didier Martin : C’est certain, les marchés émetteurs ne vont pas s’ouvrir immédiatement, il va falloir deux ou trois ans avant de retrouver des niveaux similaires à deux de l’année 2020.
Il sera indispensable de les accompagner.
TourMaG.com – Vous aviez présenté, il y a un peu moins d’un an le rapport de la mission parlementaire sur le tourisme de demain à différents ministres et à Edouard Philippe. Aviez-vous été entendu ? Et que pensez-vous faire afin que votre tribune trouve écho auprès du gouvernement ?
Didier Martin : Je ne considère pas que nous ayons été assez entendus, que ce soit mes collègues travaillant sur la problématique touristique, les syndicats ou moi.
En France, nous sommes dans le confort, d’un secteur bien développé, rentable, qui fonctionne tout seul sans aucun accompagnement. Sauf que la crise, nous remet face à nos responsabilités.
La menace est très importante, c’est le moment de mettre sur la table des montants sans précédent. Pour tout vous dire, nous avons adressé une lettre au Premier ministre, le comité de filière se réunit chaque mardi matin et nous y participons.
S’il le faut nous ferons des propositions de loi ou alors nourrir de propositions le futur budget, en particulier sur l’investissement que ce soit sur l’infrastructure ou les transports pour que soit pris en compte la fréquentation touristique.
TourMaG.com – L’année parait fortement compromise et une époque difficile s’ouvre pour le secteur…
Didier Martin : L’économie touristique va s’effondrer en partie cette année, avec du chômage, de la perte de valeurs pour les établissements.
Nous devons préserver l’outil, au sens large, c’est-à-dire les établissements, les infrastructures, préserver le personnel.
Nous allons devoir rénover, donner une nouvelle pertinence culturelle, économique et sociale, sans oublier l’écologie.
TourMaG.com – Ce temps mort doit permettre de se réinventer ?
Didier Martin : Les crises permettent aussi une remise en question, analyser la situation sous un regard nouveau, en regardant les menaces et les opportunités, pour savoir ce vers quoi nous voulons aller.
La crise montre la précarité de notre modèle et la croissance de notre fréquentation touristique, largement gonflée par la conquête de la classe moyenne chinoise, c’était une opportunité, mais notre réflexion a été anesthésiée.
Dans le futur, il sera important de créer un écosystème touristique européen, car nous avons un marché viable à proximité.
tourmag du 22 avril