Tourisme : reprise en pointillés et en cale-sèche pour les tour-opérateurs…
Si pour certains acteurs, les dernières annonces d’Edouard Philippe ont sonné la fin du confinement, pour d’autres le chemin à parcourir pour revoir des clients est encore long, trop long… Entre l’absence de programme de vols, des protocoles sanitaires pas toujours bien clairs, des quatorzaines et les frontières fermées le travail des tour-opérateurs est des plus complexes. Nous avons fait un tour dans les laboratoires de production de Kuoni, Marietton, Climats du monde et Asia… entre volonté de repartir de l’avant et blocage administratif, les TO français se cherchent un été 2020.*
A chaque strate de l’industrie touristique son actualité.
Si pour Frédéric Pilloud, le responsable digital de Misterfly « la reprise c’est comme pour les écoliers : c’est dès maintenant, » l’affirmation est nettement plus nuancée pour ses confrères TO.
Pour s’en rendre compte, il suffit de pousser les portes du tour-opérateur Kuoni, où les salariés sont au chômage partiel à 80%, même en ce début du mois de juin 2020.
« Pour le moment, les choses bougent, mais il y a encore très peu de nouvelles réservations.
Je pense qu’il faut attendre le 15 juin pour avoir plus de clarté au niveau des frontières et des conditions de départ, » explique Emmanuel Foiry, le président de Kuoni France.
A cette date, les Européens devraient savoir à quelle sauce ils pourront voyager à l’intérieur et l’extérieur des frontières de l’espace Schengen.
Un exutoire que n’a pas décidé d’attendre Asia.
« Nous avons ouvert officiellement les ventes de notre production France, le 2 juin 2020. Les retours sont très encourageants, avec un accueil très positif de la part des clients, » se félicite Guillaume Linton le PDG du spécialiste de l’Asie.
Sa production hexagonale a déjà séduit quelques clients puisque 6 dossiers ont été signés en 3 jours, et pas des moindres puisque l’un d’entre eux a même atteint 16 000 euros. Des projets vers l’Asie ont aussi été identifiés lors de ces prises de contacts.
Un redémarrage des ventes qui pourrait presque donner envie aux autres acteurs du secteur.
« En Asie du Sud-Est, les prestations touristiques rouvriront début juillet, mais il y a une quarantaine et pas de vols.
Nous espérons raisonnablement une reprise pour le dernier trimestre de l’année 2020, » tempère Olivia Calvin, la directrice commerciale de Climats du Monde.
Face au flou des frontières, des protocoles sanitaires à l’arrivée et dans les établissements touristiques, il est compliqué de se projeter.
Grèce et Tunisie la réouverture ce n’est pas automatique… pour l’Asie encore moins
Le parfait exemple, pour illustrer cette nébuleuse dans lequel se trouvent les équipes de production, n’est autre que la Grèce.
La semaine dernière la libération était annoncée, depuis « trois régimes particuliers sont en vigueur jusqu’au 1er juillet. Ce n’est pas d’une limpidité parfaite, » peste Emmanuel Foiry.
Un optimisme relatif, ou pessimisme certain, qui semble partagé par les professionnels du tourisme.
« Nous essayons de rouvrir la Grèce, pour mi-juillet, nous cherchons des solutions, mais ça ne veut pas dire que nous allons réussir.
Nous avons bon espoir de vendre un peu de départs pour le mois d’août, » confie Aurélien Aufort, directeur général du Groupe Marietton.
Propriétaires d’Héliades, les Lyonnais pensent pouvoir ouvrir environ 30% des stocks helléniques pour l’été 2020, tout en se lançant sur la Tunisie.
Pour cette dernière, les deux tiers des établissements seront ouverts et les activités seront assurées avec une certaine normalité.
« Il y a une équation à trouver pour faire correspondre un plan de transport, avec des hôtels disponibles et les mesures sanitaires, le tout avec la demande existante.
Ce n’est pas si simple, » analyse le responsable du Groupe Marietton.
Des messages empreints de doutes qui préfigurent un été 2020 relativement calme, même si le redémarrage se fait de plus en plus ressentir.
Une chose est certaine, les vacances à l’étranger ne seront pas le tube de l’été.
« A force de dire aux Français de rester en France, ils ont compris et ils resteront en France, » clame le patron de Kuoni France.
Et les récentes fuites sur une potentielle levée des restrictions aux frontières extérieures de l’Europe n’y feront rien, car le problème se trouvera sans doute à l’arrivée, pour Guillaume Linton.
« Le vrai sujet n’est pas vraiment sur les destinations elles-mêmes, mais leurs inquiétudes sur les clients que nous allons leur envoyer.
Les gouvernements sont tous très préoccupés par le fait de ne pas connaître une 2e vague due aux cas importés. »
La concertation de l’industrie sera primordiale pour faire repartir l’économie et trouver une façon de rassurer l’ensemble des nations, en prouvant que l’activité est totalement sécurisée.
« Aujourd’hui, il faudrait être fou pour s’engager sur des charters même vers l’Egypte »
Si les frontières concentrent le gros de l’attention, les compagnies aériennes aux plans de vols fluctuants et jusque là incertains inquiètent elles aussi.
« Une fois la question des frontières réglée, il nous faudra la confirmation que les compagnies aériennes revolent et à ce jour elles n’ont pas remis en place de vols, » déplore la responsable de Climats du Monde.
La question se pose aussi pour les adaptes des charters, comment positionner un avion pour les prochaines semaines sans demande ?
« Ils ne sont mis en place que lorsque nous avons du volume. Aujourd’hui, il faudrait être fou pour s’engager sur des charters même vers l’Egypte pour le début d’année 2021, » selon le patron de Kuoni France.
Du côté du groupe Marietton, des discussions sont en cours pour positionner des appareils sur la Grèce et la Tunisie avec Tunisair, mais cela ne se fera pas dans des proportions habituelles.
Alors même que ces pays ont été épargnés par l’épidémie et que l’argument rassure la clientèle.
Du côté de l’Asie du Sud-est, une zone ayant plutôt bien contrôlé l’épidémie, le problème viendrait des compagnies aériennes, frileuses à l’heure de revoler.
« A ce stade, que ce soit Air France ou ses concurrentes du Golfe, elles ont du mal à se projeter pour l’automne.
Si nous avons accès à la grille tarifaire du début d’année 2021, nous ne connaissons pas encore toutes les dates de rotation et les capacités exactes qui seront positionnées, » témoigne Guillaume Linton.
Dans ces conditions et alors que tout le monde avance à tâtons, la guerre des prix ayant grandement fragilisé les acteurs de l’industrie par le passé ne devrait pas avoir lieu, du moins cet été.
« Je ne pense pas qu’il n’y aura pas de guerre des prix cet été, même si d’autres pensent l’inverse.
Les entreprises bradent à partir du moment, où il y a trop de stocks aériens ou terrestres, ce qui ne sera pas le cas, » explique Aurélien Aufort.
Et s’il n’y aura pas de guerre des prix, les Français ne doivent pas crainte un manque d’offre.
« La demande ne repartant pas ou peu, notre stock est toujours là et nous en avions énormément, » selon Emmanuel Foiry.
Quid des reports ?
Le secteur du tourisme se met au diapason des commerçants ayant obtenu un raccourcissement des soldes estivales.
Sauf que ces derniers n’ont pas eu à gérer les reports, une mission qui se passe avec plus ou moins de réussites.
« Si nous enregistrons très peu de réservations, nous enregistrons beaucoup de reports.
Selon les dossiers, l’opération peut être compliquée, voire même impossible, pour sortir le même produit au même prix, » rapporte Emmanuel Foiry.
Sans aérien, pas de voyages, sans visibilité, pas de demande.
Toutefois, tout le monde essaye de jouer le jeu en assurant dans la mesure du possible un tarif équivalent pour une période similaire, mais dans en 2021.
Alors que les discours se montrent optimistes sur cette question, une autre problématique se fait entendre, avec la fermeture d’une bonne partie des agences de voyages.
« Il est surprenant d’entendre que des réseaux pourraient attendre la rentrée de septembre pour rouvrir leurs points de vente.
Être commerçant ce n’est pas que vendre c’est aussi entretenir le dialogue avec ses clients et leur offrir des services, » recadre le patron d’Asia.
D’autant que ces points de vente pourraient se retrouver dans une situation délicate, alors que les reports ont une date de péremption qui obligera à rembourser la clientèle.
De quoi faire frémir les tour-opérateurs ?
C’est dans 18 mois, nous avons du temps devant nous.
Puis la trésorerie n’est pas chez nous, dans le pire des cas je ne retrouverais pas de chiffre d’affaires, mais je n’aurais pas de graves problèmes de trésorerie, car je ne l’ai pas » confie le patron de Kuoni France.
Dans ces conditions, nous pourrions aisément penser que les équipes des tour-opérateurs n’ont pas la tête dans les brochures, et pourtant.
Entre les compagnies aériennes et les prestataires… les TO jonglent pour leurs productions 2021
Pour les Marseillais de Climats de Monde et malgré l’absence de visibilité sur les frontières ou les protocoles sanitaires, les têtes sont déjà tournées avec envie pour 2021.
« Nos équipes n’ont cessé de travailler et nous avons eu le temps de réfléchir.
Notre brochure apparaître comme prévu à la rentrée, avec plein de nouveautés et un maintien de notre production actuelle, » se félicite Olivia Calvin.
Une adaptation des séjours pour la saison prochaine paraît inéluctable pour l’ensemble des professionnels interrogés, avec notamment des groupes plus restreints et la part belle aux circuits.
Si l’épidémie faisait craindre un effondrement du tourisme, avec des structures menacées économiquement par une saison blanche, cette peur n’est pas partagée.
Les compagnies aériennes et les groupes hôteliers ont déjà fait parvenir leurs tarifs et disponibilités.
La vraie problématique se trouve au niveau des services. Après avoir fait comprendre non sans difficulté aux prestataires, l’importance de l’ordonnance, les compétences pourraient avoir fui un tourisme trop exposé aux crises.
« Je ne sais pas si nous arriverons tous à retrouver tout de suite les équipes à destination qui ont dû, pour une partie d’entre elles, trouver un autre travail lors de la crise.
Vont-elles être toutes disposées à retravailler dans le tourisme et resservir la clientèle française ? « s’interroge Guillaume Linton, le PDG d’Asia.
Une question que ne se pose pas la direction du Groupe Marietton, dont la nouvelle cuvée de sa production est déjà en ligne.
« i[Je ne crois pas que les clients achèteront et consommeront différemment.
Depuis plusieurs années, les voyages basés sur l’authenticité, la rencontre et le durable sont à la mode, cela n’a rien à voir avec le covid, » proteste le directeur général du Groupe Marietton.
Une analyse que seul l’avenir pourra confirmer, mais plus les semaines passent et plus 2021 tout comme 2020 sera une année particulière pour notre industrie.
Si la reprise économique de l’activité n’est pas pour maintenant, tout le monde est conscient qu’il est venu le temps de reparler aux clients.
« Le secteur du tourisme est un marché drivé par l’offre et pas uniquement par la demande, donc sa dynamique viendra aussi de notre capacité à stimuler la vente pas nos initiatives.
L’offre doit être visible, rassurante et incitative ! » clame le patron d’Asia.
Pour les professionnels interrogés, la véritable rentrée c’est comme pour les écoliers, c’est en septembre et pas en mai, ni juin.
tourmag du 8 juin