Vers une communication militante des destinations ?
Hier, je voyais l’ami Grégory Guzzo partager un article du magazine Usbek & Rica avec une interview de Philippe Moati, cofondateur de l’ObSoCo (Observatoire Société et Consommation), organisme dont j’avais déjà parlé sur mon article sur les utopies. Ici, Philippe Moati partage les résultats d’une étude de suivi des consommateurs pendant le confinement. Il assume et ressent une évolution forte de la part des consommateurs et de leur acte d’achat, ce qui m’a fait réfléchir sur la place d’une possible communication militante demain pour les destinations touristiques… Je m’explique.
Des clients en quête de déconsommation
L’étude présentée montre qu’on assiste à une accentuation des fragmentations des consommateurs. D’un côté, ceux qui pensent qu’il faut changer vraiment au nom de l’écologie et tendent vers une déconsommation (c’est mon cas) et ceux qui veulent que tout redevienne rapidement comme avant. Or, ces clientèles qui cherchent à consommer toujours plus local, à se radicaliser dans certains actes d’achat ou même à déconsommer vraiment, comment vont-elles traduire cela pour les congés ou les vacances ?
Concrètement, cette forme de déconsommation dans le quotidien, c’est arrêter d’aller dans les supermarchés, de cultiver ou d’aller très régulièrement au marché, c’est de stopper son abonnement Amazon Prime et de réserver ses livres à la librairie du coin, c’est de faire soi-même (son pain au levain, ses masques de protection, ses semis, etc.).
Ce qui nous dit l’étude et l’interview de Philippe Moati, c’est que cette crise a prouvé que si les gens ont plus de temps (grâce au télétravail par exemple mais aussi au chômage partiel), il y a moins de contraintes et ça permet de basculer vraiment dans le changement. C’est ainsi que les gens réalisent potentiellement que ce qui compte vraiment est fortement lié à du non-marchand… C’est cette notion d’utilisation du temps du quotidien. On ne court plus après les moyens pour consommer mais on repense petit à petit ce qui est nécessaire vraiment pour être heureux.
Or, dans ce qui nous rend heureux et qui se retrouve à la limite entre la consommation et la déconsommation, c’est bien le tourisme non ?
Pousser les déconsommateurs à se rendre dans les destinations
Bien sûr, ce titre est dégueulasse mais ça explique bien le casse-tête à résoudre. En gros, on cherche à faire venir des visiteurs dans nos destinations mais en sachant pertinemment qu’une partie d’entre eux est de plus en plus sensible à la déconsommation. Alors, comment peut-on faire ?
La réponse, selon moi, est bien dans le sens que l’on va donner à ces formes de consommation touristique. Au-delà de l’acte d’achat, il s’agit de convaincre ces personnes du sens, de l’intérêt de dépenser ces sommes d’argent au sein de la destination pour telle ou telle prestation.
On retrouve bien entendu la question des micro-aventures, la question de la rencontre, de l’impact économique (et donc de la transparence), de la préservation du vivant ou encore de l’apprentissage et l’expérience. Rien de neuf sous le soleil me direz-vous… Tout est dans la compréhension fine des publics visés et de la capacité à convaincre. Dans ma forme de déconsommation, quel est le point de bascule sur lequel je serais prêt à céder parce que ça a un sens pour moi… ?
De l’art de faire de la communication militante…
C’est là où il est peut-être nécessaire de communiquer différemment pour un professionnel, pour une destination. C’est assez étonnant parce que mes premières recherches sur Google m’ont amené sur des exemples avec Leclerc, Adidas ou Fleury Michon. Même si je ne vais pas critiquer ouvertement les stratégies RSE de ces entreprises, je vois dans la communication militante une vision plus radicale. Le militantisme, c’est assumer une position forte, de dire et de faire avec sincérité, pour engager l’entreprise ou le territoire dans un combat ! C’est défendre une vision de la société qui porte des valeurs inhérentes à la préservation du vivant, à l’inclusion sociale ou à d’autres enjeux clés pour demain.
Or, en assumant cette position, il n’y a pas de communion universelle à rechercher comme le dit très bien le philosophe Pierre Charbonnier dans cet article du Monde. Pour lui, c’est clair, « L’écologie ne nous rassemble pas, elle nous divise. Tant mieux, car c’est de cette division que naîtra une clarification de nos objectifs. » Et pour le traduire autrement, il s’agit pour une entreprise touristique ou une destination d’assumer clairement de ne pas vouloir accueillir certains visiteurs (du fait de leur non-engagement) et non de rechercher uniquement le grand public, que l’on pourrait traduire par … un portefeuille. D’ailleurs, c’était bien la position assumée de la ville d’Amsterdam pour lutter contre le surtourisme. Arrêtez d’accueillir certaines clientèles qui viennent en low-cost pour faire les cons dans le Quartier Rouge…
Mais alors, comment fait-on pour communiquer de manière militante ? Il s’agit d’assumer son combat, ce que l’on défend au plus profond. La protection du vivant, l’urgence climatique, l’agriculture biologique, une économie plus équitable, le local, la protection des minorités, etc. Puis, il faudra travailler pour que l’entreprise ou la destination soit référente sur le sujet, indéboulonnable ! Enfin, il s’agit de prendre la parole, d’assumer la position face aux critiques et remarques ! D’ailleurs, c’est là où la communication de la marque va bien au-delà de son produit. Il suffit de regarder des prises de position de Patagonia, très connu (je vous recommande d’ailleurs vivement le livre de son fondateur Yvon Chouinard si vous ne l’avez pas lu…) mais aussi des entreprises plus jeunes comme We Dress Fair, start-up engagé basée à Lyon (avec leur campagne #Duvraipasduvert).
Attention aux mauvaises intentions et au manque de sincérité
N’allez pas trop vite en besogne dans votre communication militante, il faut bien prendre en compte un agenda pour étaler les actions. Communiquer trop vite, trop tôt, c’est le risque de n’être pas assez cohérent et pas assez référent sur le sujet. Il faut donc éviter à tout prix de faire du greenwashing ou du socialwashing, surtout que ces clientèles engagées et décroissantes ne sont pas les plus stupides. Ils arrivent à voir à des kilomètres le bullshit marketing… Ce sont des experts pour débusquer le vrai du faux !
Quand ils voient une marque comme EasyJet proposer une compensation carbone, ils vont vite combattre que ce n’est pas du tout crédible, surtout à 0,5€ la tonne de carbone compensée… Il va falloir donc bien repenser le produit mais aussi toute la chaîne de valeur du produit, le management, et de manière générale la stratégie de développement durable et de responsabilité sociétale de l’entreprise directement raccroché à la stratégie de la structure !
D’ailleurs, c’est ce que l’on commence à voir venir dans certaines destinations françaises avec une volonté évidente de structurer la démarche d’engagement en matière de tourisme durable dans une visée stratégique ! En mettant sur la même ligne de travail à la fois l’engagement en matière de développement durable et la stratégie de développement d’une destination ou d’une entreprise, c’est là que l’on va entrer dans le dur, dans les difficultés, dans les choix à faire soit pour augmenter le nombre de touristes, soit pour avoir une responsabilité envers l’Autre, la planète, l’habitant, le professionnel, etc.
Et demain, les OGD lanceront des plateformes de crowdfunding pour soutenir des projets citoyens pour la transition de leur territoire et manifesteront en faveur de la protection de la biodiversité contre des gros projets polluants…
etourisme du 27 mai